Depuis deux jours, tous les journaux reprennent la même dépêche AFP : « Une Rom sans-papiers meilleure apprentie de France ». Belle histoire qui redore un peu l’image de l’immigration mise à mal ces dernières semaines par l’affaire Merah.
Pour rappel, une jeune Rom, sans-papiers, de 18 ans, a reçu cette semaine le prix du meilleur apprenti de France en catégorie pressing. Tout comme l’année dernière, où cette catégorie avait aussi vu sur la première place une rom sans-papiers, les médias se sont saisis de l’occasion afin de nous proposer le conte de fée de cette immigrée rejetée par une administration ingrate, qui arrive cependant à déjouer les tours de ces méchants français à force de courage, afin d’obtenir enfin son permis de séjour [NDLR : le figaro.fr titrait hier soir : « la meilleure apprentie de France bientôt régularisée »].
Ne vous fiez pas à ce petit paragraphe, à Bamboin, nous sommes de tout cœur avec Cristina Dimitru (la meilleure apprentie de France dont on parle depuis le début). Cependant, nous dénonçons l’effet contre-productif produit par cette annonce sur la population française. Votre expérience n’ira pas contre ce que je vais vous écrire en vous annonçant que plus ces exemples de réussite individuelle sont mis en avant, plus les détracteurs de l’immigration se font virulents et prennent appui sur ces réussites, afin de railler les minorités sur leur supposée infériorité : « il y a bien qu’en pressing que vous valez quelque chose » ou bien même et c’est véridique « Il y a un cursus officiel de formation pour les pickpockets ? Ben merde alors … ».
Quel rapport avec le travail admirable de cette jeune femme ? Aucun, mais à mauvaise foi il n’y a pas de limites. Un sidérant exemple peut se voir sur le forum Yahoo (ici). Sur ce forum, AUCUNE réponse n’est dotée d’un message positif sur la communauté rom, alors que le topic parlait exclusivement de la réussite de la jeune apprentie.
Cet exemple résume la situation de l’opinion française en termes d’immigration :
- Les principaux médias, avec leur conscience philanthropique et élitiste, vantent une réussite tout en oubliant que leurs lecteurs n’aiment pas se faire prendre de haut.
- Une bonne partie de la population en a marre de ces médias qui leur disent qu’il n’y a pas de problèmes, alors qu’il y en a un. Pour faire entendre leur opinion, ils se retranchent dans des positions radicales en prônant la haine et la régression.
- Quant à ce qu’il reste de la population : que faire lorsque l’on est coincé entre deux positions si tranchées ?
Dans cette situation, on ne peut imputer la faute à aucune des trois parties, car chacune, au vu de la situation, adopte une attitude rationnelle, en accord avec ses intérêts.
Il s’agit alors, pour les pouvoirs publics et les personnalités de l’économie, de changer la situation, sans se laisser distraire par quelques positions électoralistes et court-termistes.
Ce débat est, vous en conviendrez, vieux comme le monde et cela fait bien longtemps que la France, à l’instar des autres pays européens, n’a pas trouvé de solution à ce problème. Dans la deuxième partie de cet article, nous vous proposons donc de réfléchir à cette problématique en prenant appui sur les propositions des différents candidats à la présidentielle 2012.
Lorsque l’on regarde les différents programmes, on se rend compte que les politiques d’intégration vont du « tout régulariser » de Philippe Poutou à l’immigration réduite à son minimum de Marine Le Pen (10 000 personnes par an).
Si l’on regarde les partis moins extrêmes, on remarque que Nicolas Sarkozy, François Hollande et François Bayrou ont tous comme projet de réduire un minimum le nombre d’entrées sur le territoire français. Ces candidats proposent d’ailleurs tous une sorte de « discrimination positive », en expliquant privilégier la qualité de l’adaptation au nombre de venues. Tout cela est bien beau, n’est-ce pas ? Mais force est de constater que ces propositions floues : « régularisation lorsque travail depuis plus de 3 ans », « régularisation en fonction des besoins de l’économie », « lutte contre les filières clandestines », ne règlent en aucun cas le problème dans son essence.
Un ami royaliste me disait : « à l’époque de la monarchie, le problème ne se posait pas ; il ne suffisait que de faire allégeance au roi pour appartenir à la nation ». Bien sûr, l’époque et les problématiques ont changées depuis (état providence, augmentation des flux migratoires …), mais en y regardant de plus près, l’idée du contrat formel, entre un citoyen qui se dévoue corps et âme à son peuple et un Etat qui, en échange, lui promet de le défendre en toute occasion, peut être intéressante. C’est d’ailleurs un peu ce que propose Eva Joly, avec sa volonté de redonner à la France sa portée cosmopolite en facilitant l’immigration, tant que celle-ci favorise « l’enrichissement mutuel ». Ce qui est intéressant dans cette idée, c’est le principe de réciprocité sans lequel la haine ne peut que continuer de prospérer. Ainsi, le système proposé doit être à la fois contraignant pour les immigrés (ce que les partis de gauche oublient souvent) et pour l’état qui se doit de protéger pleinement tout ses ressortissants, en leur apportant ce droit fondamental qu’est l’égalité (ce qui est trop souvent omis par la droite).
Prenant appui sur le système très efficace, bien que contesté, des pays nordiques, il serait intéressant de se questionner les points suivants :
- L’investissement d’urgence dans des banlieues repensées, plus proches des milieux naturels et « suréquipées » en termes d’infrastructures de loisir et d’éducation.
- À Linköping, ville suédoise de 140 000 habitants, les principaux logements sociaux sont à la lisière d’une forêt ; les immeubles ne dépassent pas trois étages et les espaces de jeux existants se comptent par dizaines. Cela est un gros investissement, mais sur le long terme, la paix sociale et la baisse du chômage engendrée par ces actions offrent au pays un avantage non négligeable.
L’obligation pour les immigrants économiques de trouver du travail sous un laps de temps défini et court, sous peine d’expulsion, avec en contre partie un permis de séjour délivré automatiquement tant que le nouveau venu a un travail et accepte de se soumettre aux lois et obligations françaises.
- La fin des centres de rétention incompatibles avec les droits de l’homme (E. Joly et J-L. Mélenchon).
- L’européanisation des politiques d’immigration (F. Bayrou).
- Le droit aux aides sociales sous conditions plus strictes.
- L’incitation à l’égalité sociale par l’intermédiaire : de logements étudiants plus abordables, de prêts à taux zéro proposés par l’état à tout les étudiants et remboursables une fois le premier emploi trouvé, ainsi que par l’augmentation de la qualité et des effectifs dans le supérieur public et gratuit (universités plus professionnalisantes et accroissement des « écoles de commerce et d’ingénieur » publiques).
Ces propositions ne se veulent ni exhaustives, ni justes, mais sont quelques exemples de contrats sociaux qui existent de par le monde et qui ont fait leurs preuves, tout comme la couverture universelle d’assurance maladie a été un exemple français dont s’est inspiré Obama afin de réduire les inégalités sévissant dans son propre pays.
Notre but ici était de vous faire réfléchir à tête reposée sur ce débat qui entraine injustement la haine. Nous avons donc essayé d’y apporter un maximum de pistes divergentes et espérons qu’aucune de celles-ci ne vous ont choquées.
Thibault Linte
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